Les multinationales et grands groupes de distribution sont à la tête d’une logistique sans faille. Rien ne leur échappe. Notre pouvoir d’achat est passé depuis 50 ans entre leurs mains et leurs ambitions sont toujours plus grandes. Après les produits quotidiens, les fleurs, les parapharmacies, la presse et les assurances, ils souhaitaient devenir votre banque ou votre concessionnaire. Leur fonctionnement a bouleversé nos habitudes, notre environnement et parfois nos conditions de travail. Leur imagination, incessante, est-elle sans limite ? Nous allons tenter de le décrypter sur la base d’une enquête de Jean Claude Jaillette.
1 • Écologie. Le fournisseur paye sa dime.
Une idée qui rapporte de l’or… à la grande distribution. Le cageot écolo ! Certains primeurs ont découvert le nouveau principe écologique. Les livraisons ne doivent plus se faire dans des cartons « pollueurs », mais plutôt dans des caisses en plastiques pliables et réutilisables. Certes le procédé est louable, mais nos primeurs découvrent qu’il est d’une part imposé et d’une autre facturé ! Le témoignage d’une victime de ce système est sans appel : « Impossible de faire jouer la concurrence : on nous dicte un prix de location, et on nous somme de payer une consigne qui immobilise un sacré pactole dans nos trésoreries ! »
Mais ce n’est pas fini. Dans la logique des enseignes, il faut reconnaitre la négociation d’achat ultra compétitive, effectuée auprès des fabricants de cageots et récompenser tout cela en payant une taxe sur chaque aller-retour de caisse en plastique. La somme est infime, mais au total, le cumul multiplié chez chaque primeur fait vite tourner la tête. Un témoin dans l’enquête, nommé Tristan, soupire « Dans mon bilan, le poste emballage et consigne s’est élevé à 5 millions d’euros en 2010 ».
2 • Économie. Prix d’achat biaisé.
La nouvelle est tombée il y a quelques jours, le « panier des essentiels à moins de 20 € » est proposé par la grande distribution. Une démarche citoyenne sans précédent qui tient compte des difficultés des ménages. Nous comprenons donc à travers cette lecture que la répercussion du prix des matières premières se fera en amont, tout au long de la chaîne afin de ne pas faire s’enflammer le prix de votre produit fini dans votre chariot. Oui, mais, selon Jean-Claude Jaillette, une fois encore, la grande distribution, dominatrice a su imposer ses conditions. Avec seulement six enseignes sur le marché national, c’est d’autant plus facile à gérer.
3 • Économie. Inflation fantôme.
Ces grandes idées, conçues afin de rançonner ses fournisseurs, ont des effets de bord pour le consommateur final. Comme mentionnée précédemment, une inflation « naturelle » s’installe. À force de voir ses marges rognées, le producteur prend pour réflexe l’inflation préventive. Les témoignages de l’enquête sont unanimes « Quand on sait qu’on va être rackettés dans tous les sens, on prévoit large au moment des négociations ».
Une guerre d’intox est alors lancée entre les enseignes et les industries. Nous pouvions entendre sur France Inter, le 1er avril 2011, les arguments de Édouard Leclerc nous préciser « Lactalis, qui fabrique le célèbre camembert Président et le roquefort Société, réclamait 12 %, alors que le lait n’a augmenté que de 6 % ». Qui croire ? Qui bluffe , quand on apprend que le patron médiatique des centres Leclerc a oublié de préciser que c’est le numéro 1 des produits laitiers qui avait souhaité cette rupture, je reprends les termes, « ulcéré par la manière dont la négociation a été menée ». Bref, il est complexe de connaître le fin mot de l’histoire afin de trouver qui veut protéger, à tout prix, sa marge. Ainsi la négociation vers ses fournisseurs ne pourra jamais être la même qu’il s’agisse d’un acteur local ou d’un géant incontournable. Les grands fournisseurs de la grande distribution connaissent leur hégémonie et le plébiscite portés par les clients à leurs produits. Ces géants que sont Lactalis, Danone, Nestlé, Kraftfood et autres savent très bien qu’un commerce ne peut pas tenir sans leur présence en rayon et sur ce point, la grande distribution se retrouve pot de terre contre pot de fer. Coca Cola, suprême produit parmi les produits se permet même un prix unique de sa canette au sein d’une enseigne et cela malgré les règles de la concurrence.
4 • Monopole. La loi du silence.
Il faut rappeler que les prix affichés en France sont les plus élevés d’Europe et que la main d’oeuvre n’est pas la principale cause. Il faut plutôt regarder du côté des « 3R » : rabais, ristournes et remises. Une pratique incontournable pendant les négociations, qui oblige les producteurs à gonfler leurs prix pour survivre. Selon l’auteur de cette enquête, ces pratiques existeraient régulièrement et seraient dissimulées sous une sorte d’omerta. Un règne du silence ou chaque faux pas est suivi d’intimidation, de menaces ou de chantage, où chaque désaccord se transforme en « déréférencement » avec des méthodes de voyous.
Les témoignages, sous couvert d’anonymat, affluent :
« Si je prends la parole publiquement pour raconter tout ce qu’on me fait subir […] demain je suis mort, ma boîte n’existe plus et mes 80 salariés sont à la rue »
« Porter plainte contre une enseigne ? Mais vous n’y pensez pas ! s’esclaffe un expéditeur de fruits et légumes. Je gagnerais sûrement, mais je ne travaillerais plus jamais avec cette enseigne, et je serais aussitôt inscrit sur une liste noire. Viré. »
Ou encore,
« Un producteur de fruits ne peut pas ne pas vendre à la grande distribution »
5 • Business. Racket de base.
Toutes les inflations que nous subissons sont le résultat de pratiques que les producteurs osent appeler racket. Les marges arrières qui jadis étaient des sommes d’argent reversées, sans fondement, aux enseignes sous prétexte de ristournes, de frais d’habillage de tête de gondole, de bonus client, etc. sont devenues interdites depuis la loi de modernisation du 28 janvier 2011. Mais elles toujours présentes, mutées sous des formes différentes :
Cet entrepreneur a signé ce contrat, persuadé qu’il n’avait pas le choix pour vendre sa marchandise et persuadé que son partenaire commercial saurait « inventer des procédés pour remplacer les commissions devenues illégales ».
Les litiges fictifs : Avec ces méthodes, un témoin raconte avoir perdu 200 000 € en 2010 sur un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros. Le principe est simple. Aucune remarque ne vous est faite pendant la négociation, la livraison et cela pendant quinze jours. Puis, une facture vous parvient avec comme argument des colis prétendument défectueux ou détériorés. Avec ce délai de quinze jours, il est très difficile de défendre sa marchandise, elle n’existe plus en l’état. Des négociations commencent alors et vous n’êtes jamais réglé à la hauteur de votre facture.
6 • Tout n’est pas blanc ou noir.
Conclusion.
Les êtres humains évoluent au milieu d’un système … qui est ce qu’il est. Nous pouvons retrouver des actions locales différentes d’un point à un autre. Toutefois, ces déconvenues en ont lassé plus d’un et ont donné des ailes à certains producteurs. Ils ont revisité des critères et sont passé de la quantité à la qualité, ont pu conserver leurs marges de fonctionnement et retrouver un rythme de vie honorable. En formation, j’ai rencontré, à deux reprises, ce type de producteurs. Ils m’ont confié, que dans leurs cas, ils avaient compris la leçon. Aujourd’hui, ils produisent moins, ne font plus la course à l’équipement, profitent d’une distribution locale et/ou régionale raisonnable. Cette deuxième chance, loin de la grande distribution leur a apporté des chiffres d’affaires divisés par dix, mais un train de vie multiplié par deux… allez comprendre ?
// Cette enquête a été publiée dans le journal Marianne du 9 au 15 avril 2011 et est disponible à cette adresse (http://www.marianne2.fr/A-lire-cette-semaine-dans-Marianne-%C2%A0Le-dossier-noir-de-la-grande-distribution_a204778.html).