Ajout suite à l'actualité du 19 février 2014 "Vas t-on vers une pénurie de chocolat ?"
Cette question amène tout un lot de réponses et de nouvelles questions
Pour cette année, nous avons utilisé autant de cacao que le monde entier a pu en produire, soit 4 millions de tonnes de cacao. Le danger potentiel de pénurie ne serait donc pas pour tout de suite.
Toutefois, sachant que l’on sait* produire encore plus de chocolats à l’hectare, en augmentant le rendement, nous éviterons le choco-chao. Ainsi avec 6 tonnes à l’hectare envisagé, nous allons rencontrer d’autres problèmes.
– Les monocultures vont progresser et encore plus appauvrir la biodiversité.
– Les exploitations massives vont polluer les sols et l’environnement, jusqu’à épuisement de façon irrémédiable.
– Le résultat de cette production va être tellement poussé que la douceur de la fève va en pâtir et son goût amer devra être encore plus renforcé par le sucre.
Et tout cela pour quoi ?
1) Pour une demande chinoise exponentielle et récente, fabriquée de toute pièce par un marché très marketé. Ils sont 1 milliard 300 millions et ne mangent que 100 grammes par habitant/an pour l’instant, contre 7 kilos pour nous et 10 kg pour la suisse. Imaginons ce qui va se passer lorsqu’ils vont passer à des besoins en kilos/habitant.
2) Pour assouvir les besoins en chocolat d’enseignes qui ne souhaitent pas vous voir seulement deux fois par an, mais tous les 15 jours dans leurs boutiques.
Cette demande croissante attire toutes les convoitises et cela n’est pas bon du tout. La production du Pérou en moins de 10 ans est passée de 0 à 60 000 tonnes de cacao. Mais pire encore, le Vietnam s’est juré de rattraper le premier producteur au monde, la Côte d’Ivoire (40% de la production mondiale). Que vont devenir ces pays avec ces productions soudaines massives ??
*(le CIRAD – La recherche agronomique pour le développement)
Nous consommons en Europe environ deux millions de tonnes de chocolat par an. Cet instant plaisir est devenu une vraie passion pour les amateurs et a suscité un grand enthousiasme chez les professionnels du chocolat. Ce marché est colossal et lucratif. Les chiffres font tourner la tête. Le marketing n’est pas loin et dans ces cas-là, il sort du bois pour nous offrir sa panoplie complète d’offres suggérées. La qualité du chocolat est un sujet complexe tant les pistes sont brouillées.
Un décodage, en cinq actes, s’impose…
Acte 1 : La directive européenne.
Commençons par la Directive 2000/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 juin 2000 qui autorise l’ajout de six matières grasses : karité, illipé, sal indien, huile de palme, kokum gurgi, noyau de mangue et des matières produites principalement dans les pays en voie de développement. Cette autorisation permissive, n’ai toujours pas en faveur du consommateur. Les industriels s’en frottent, une fois de plus, les mains. Produire plus en dépensant moins ! Mais ce n’est pas nouveau, déjà en 1850*, les fabricants séparaient le cacao du beurre de cacao (ce beurre était revendu très cher), pour le remplacer par du suif de veau ou de mouton, des jaunes d’oeuf, de l’huiles d’olive et de l’huile d’amande douce. Cela n’a pas duré, car pour calmer le mécontentement des consommateurs, cette pratique a été interdite. Dans les pays anglo-saxons, la qualité du chocolat est moins protégée. Priorité est donnée à la durée de conservation et au bas coût de fabrication, en utilisant l’ajout de matières grasses végétales (MGV), presque systématique. C’est d’ailleurs dans ces mêmes pays que le chocolat a « mauvaise réputation ». En France, pour tout ce qui est tablette de chocolat, nous avons à faire à des industriels qui respectent nos désirs. Nos chocolats en tablette sont sans ajout de MGV et la répression des fraudes l’a confirmé par des analyses. Mais lorsque nous abordons le rayon des bonbons chocolat de tradition française (ceux que l’on trouve en boite ou en ballotin), c’est une autre histoire. De façon générale, j’ai constaté que la couverture est 100 % beurre de cacao et que l’intérieur est une belle petite mixture de graisses végétales.
Acte 2 : La matière première.
Comme on peut le lire « voir article chaud cacao », le chocolat est issu de fèves de cacao. Même si, il est vrai, que la qualité d’un chocolat reste essentiellement liée à la manière dont il est travaillé. Le conchage, la torréfaction, ou le séchage sont des étapes importantes mais le principal atout organoleptique du chocolat réside dans l’origine de la fève qui se partage essentiellement en trois sortes.
1) Le Forastero (ou Almelonado) : 80 à 90 % de la production mondiale. Ce mot signifie en espagnol « l’étranger ». La saveur la plus amère.
2) Le Trinitario : 10 à 20 % de la production mondiale. Issu du croisement du Criollo et du Forastero, il fut créé par hybridation après une catastrophe naturelle qui détruisit tout le Criollo.
3) Le Criollo : 1 à 5 % de la production mondiale. Ce mot signifie en créole « le vrai, l’autochtone, celui du pays ». La saveur la plus douce.
À ce sujet, j’ai contacté le moulin des Moines, qui produit une tablette BIO « 100 % Pure pâte de cacao ». Je trouve le goût moins amer que le 99 % Lindt, mais quand même plus fort que le cacao El Inti. Était-ce du Criollo ou non ? J’ai donc contacté le Moulin Meckert Diemer à KrautWiller qui m’a répondu «… ne pas savoir s’ils font ce chocolat avec du Criollo. Ils n’ont pas l’info ?? Qu’ils se renseignent auprès de la chocolaterie et qu’ils me recontactent ! »
À l’écriture de cet article, cela fait un mois et je n’ai toujours pas eu de réponse !!
Pour se persuader de la qualité d’une fève Criollo, il suffit de goûter du chocolat pur, sans sucre -comme décrit dans l’article « article chaud cacao » et de se faire sa propre opinion. Un autre plaisir, que l’on trouve à la chocolaterie Morin*** ou sur le site de Rrraw***, est le chocolat cru. Les fèves de cacao n’ont subi ni torréfaction ni conchage. Simplement séchées à moins de 45 °C.
Acte 3 : Les marques qui évoquent le voyage.
De façon générale, les marques utilisent des noms qui évoquent le bon goût du terroir ou de la contrée sauvage. Le chocolat n’échappe pas à cette habitude. Leurs douceurs sont enrobées de noms de crus existants ou… inventés. Dans le cadre du chocolat, ou du café, on suggère les paysages de l’Afrique ou l’Amérique du Sud. La délicatesse d’un cru sous un nom vendeur, rien d’extraordinaire me direz-vous, mais l’exercice peut aller plus loin.
Exemples : Les crus Tanariva, Taïnori, Guanaja ou Abinao de chez Valrhona sont des invitations au voyage et cela me gêne quelquefois, quand le nom évoque une émotion ou une idée, un peu trop tirée par les cheveux. Prenons le cas de « Guanaja ». Comme le rappelle ChocoClic**, le cacao criollo du Honduras (ou anciennement Guanaja) est un produit très demandé sur le marché, étant donné la qualité de ses fèves. Les cacaoyers de Guanaja, étant de premières souches, elles sont systématiquement de la variété des criollos. Lorsque je consulte le site de Valrhona, je lis : Grand cru de chocolat noir, amer et élégant. […] Guanaja révèle une alliance de cacaos inédite entre la subtilité des Criollo et le puissant bouquet des Trinitario et Forastero.
On peut alors se poser la question du mot « Amer », avec un nom qui évoque justement la douceur des fèves de Guanaja ?
Et pourquoi mélanger avec du Trinitario et du Forastero, sur un produit qui aurait pu à lui seul évoquer le Criollo de par son nom ?
Perturbateur à mon sens.
Sur ce même registre, une marque française de chocolats, dirigée par Philippe Jambon, et dont le siège est à Ferrières-en-Brie en Seine-et-Marne en France, nous propose depuis quelques années sa marque Jeff de Bruges. J’avais pour ma part, imaginé que son fondateur venait de Belgique, pays d’un type de chocolat, et que l’enseigne portait le nom de son fondateur.
Acte 4 : Les ingrédients
Un chocolat peut retrouver une liste d’ingrédient plus ou moins exotique dans sa composition.
La lécithine de soja : La lécithine est un additif technique servant d’émulsifiant qui donne un brillant et une facilité de démoulage. Mais sa présence moins avouable est sa fonction « liante », qui permet d’assembler différents gras (beurre de cacao, matière grasse du lait éventuel, des huiles végétales, des graisses de fruits à coques,…)
La poudre de cacao : La poudre de cacao peut faire monter le taux de cacao, artificiellement, en asséchant le taux de matière grasse.
Le sucre : Trop souvent, pour masquer un gout amer (!), on ajoute du sucre certes, pour le goût, mais aussi pour son faible coût. C’est tentant et devient une aberration quand celui -ci devient le premier ingrédient du chocolat noir.
La proportion peut être complètement différente et extrême d’un chocolatier à l’autre. 55 % de cacao + 45 % de sucre chez les uns et jusqu’à 75 % de chocolat+ 25 % de sucre chez les autres. Préférez aussi, ceux qui utilisent du sucre complet. À vous de choisir.
Les matières grasses végétales ajoutées (MGV) : Comme autorisées par la directive européenne, l’ajout de diverses huiles végétales est possible à hauteur de 5% maximum. Un petit scandale à l’époque lorsque cette directive a été adoptée et restant scandaleuse, à mon sens, encore, en 2014 pour le consommateur final. Sois on achète du chocolat soit une spécialité chocolatière, sans devoir lire tous les ingrédients, écrits en petits caractères, sous la boite. Un chocolatier me confiait que ce chiffre de 5% n’était peut être pas le fruit du hasard. Son avis est qu’un chromatographe en phase gazeuse, permettant de mesurer ce pourcentage à une fiabilité qu’il faut prendre avec précaution en dessous de 10%. Difficile donc de mesurer rapidement et précisément ce taux. N’étant pas expert en chromatographe, cet aspect n’engage que son auteur.
Actes 5 : Artisan ou Industriel ?
La réponse la plus complexe car être artisan semble, chez les chocolatier être une définition floue. Un chocolatier maitrise t-il toute la chaine, ou verse t-il du chocolat dans des moules ? Utilisent-il des ingrédients de qualité ? Fait-il tout à la main ?
Production.
À partir de combien de m2 ou de kilos de chocolat produits, ne sommes-nous plus artisans ? Les chocolatiers interrogés annoncent des chiffres divers, mais personne n’arrive à me donner une définition de l’artisan. Pour exemple, la chocolaterie de Puyricard*** est une « industrie » chocolatière qui produit uniquement des chocolats de façon artisanale et s’en défend. Quand j’interroge les chocolatiers et consommateurs les connaissant, ils associent à tort, semble-t-il (lire leur bio en ligne), cette chocolaterie à un industriel. Très compliqué de déterminer où se situer.
Origine de la matière première.
Un chocolatier à la possibilité acheter chez un couverturier industriel comme Valrhona, CocoBary, Callibaud, Belcolade…, des pistoles ou fèves de chocolat qu’ils feront fondre pour réaliser des moulages et tablettes. Comme la ménagère, à la maison, avec ses tablettes, ils composent grâce à des produits mis à disposition. Si je pose la question à un chocolatier qui possède une chaîne complète, du producteur au chocolatier – Eynard via la Côte d’Ivoire, ou Saldac via le Pérou -, il sera sans appel sur l’artisan et me répondra qu’un vrai artisan ne doit pas acheter chez un industriel sa matière première, mais bien se la procurer soit par un réseau direct (comme eux) soit à un groupement qui se charge de faire la même chose qu’eux, c’est-à-dire acheter un produit qui sera artisanal du début à la fin, sans ajout, sans transformation. Un jeune chocolatier me faisait remarquer que l’on ne reproche pas à un boucher de ne pas « élever les boeufs » ou à un boulanger de ne pas « produire sa farine« . C’est vrai et compréhensible mais cette analyse, confrontée à d’autres chocolatiers, a eu pour réponse, collégiale, que cela ne les empêchent pas de choisir un réseau distributeur de matières premières dignes d’un artisan et non d’un industriel. Donc, jeunes créateurs chocolatiers, laissez tomber le chocolat en sachet et trouvez LA bonne filière.
Choix des ingrédients.
Les protagonistes sont unanimes. Un artisan ne devrait utiliser que du cacao (et non de la poudre), du sucre de qualité (et le moins possible), du beurre de cacao, exclusivement, et surtout aucun additif (dit technologique), comme la lécithine. Cette dernière, de son vraie nom la phosphatidylcholine est un sacrilège impardonnable pour un artisan. Pas de lécithine disent t-il ! Toutefois, sur ce critère, au moins nous pouvons avoir le contrôle en lisant les ingrédients.
* Nikita Harwich dans son Histoire du chocolat
** www.chococlic.com
*** Site de la Chocolaterie Morin / Site de la marque Rrraw.fr / Site de Chocolaterie Puyricard / Chocolatier Eynard, Venelles
Pour finir, je vous propose le jeu des différences.
Ci-dessous, deux tablettes pour un même produit.
Le Nestlé, Grand Chocolat. Raisins Amandes Noisettes.
La version 1. Date de péremption jusqu’à juin 2012.
La version 2. Date de préemption jusqu’à novembre 2014.
Il s’agit donc de l’ancien emballage et du nouveau et voici donc les différences.
– « Fabriqué en Suisse » et le drapeau Suisse n’apparaissent plus ?
– L’origine de la pâte de cacao (Afrique de l’Ouest, Équateur) dans les ingrédients a disparu.
– Le premier ingrédient est maintenant, non plus la pâte de cacao, mais le sucre.
– Les raisins ne sont plus à 12 % avec mention Sultana, mais à 6 % sans mention.
– Ils ne sont plus avec beurre pâtissier, mais avec de l’huile végétale.
– Les amandes et noisettes torréfiées à hauteur de 8 % sont devenues des amandes et noisettes à 6 %.
– La lécithine est passée de soja à tournesol.
– La teneur en cacao est descendue de 54 % à 46 %.
J’ai découvert ce chocolat par hasard et ai donc acheté une tablette pour scanner l’emballage. Qu’elle ne fut pas ma surprise en comparant les deux emballages, l’un ancien, l’autre récent et de voir que sous la même appellation, nous avions deux produits différents. Sachez, que rien n’oblige* un fabricant a indiquer un changement de recette. Si c’est mentionné, c’est que l’industriel le souhaite*. Exemple : Recette plus crémeuse. Recette plus oncteuse,…
*DGCCRF mars 2014.
Tablette version 1 Date de péremption jusqu’à juin 2012 |
Tablette version 2 Date de préemption jusqu’à novembre 2014 |
TRÈS BIEN !
Excellent articles, complet et rempli de vérité ! 🙂