22 novembre 2024

Aspartam

rue89 Sophie Caillat pour «Rue 89»
Lundi 16 décembre 2013

« Il faut que j’arrête de boire du Coca Light ? » Telle est la question angoissée de mes collègues à laquelle il me faut répondre. Entre ces scientifiques qui vous ordonnent d’arrêter de consommer de l’aspartame et les autorités sanitaires qui continuent de le juger inoffensif, qui croire ?

Le Réseau environnement santé (RES) organisait ce vendredi une conférence dans le but de « réévaluer les risques de l’aspartame » sur la base de « nouvelles données expérimentales et épidémiologiques. » Invité d’honneur, le docteur Morando Soffritti, directeur de l’Institut Ramazzini de Bologne (Italie) et dont les études sur les rats révolutionnent l’approche du risque imputé à l’aspartame.

C’est quoi ? L’aspartame est l’édulcorant le plus utilisé au monde. Son nom de code est E951. C’est une poudre blanche issue de la rencontre entre deux acides aminés, sans odeur, au pouvoir sucrant 200 fois plus élevé que le sucre naturel. Il se retrouve dans des milliers de produits light tels que le faux sucre Canderel, le chewing-gum, les sodas… et compterait 200 millions de consommateurs réguliers. Dès sa descente d’avion, ce scientifique a été auditionné par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail). L’agence passe en revue les dernières études scientifiques et doit dire dans « quelques semaines » si l’aspartame est aussi neutre pour la santé qu’elle l’a toujours affirmé. Cette bataille scientifique ressemble à celle sur le bisphénol A, un composé chimique potentiellement cancérigène et présent dans le plastique des biberons. Après un an et demi de campagne pour son abolition, le réseau et ses experts ont fini par obtenir l’interdiction de ces biberons en Europe. Le principe de précaution l’emportera-t-il encore cette fois-ci, malgré les intérêts commerciaux en jeu ?

1 Quelle est la bonne dose ?

Sa « dose journalière admissible » a été fixée à 40 milligrammes par kilo de poids corporel. Comprendre : si je consomme moins de cette dose chaque jour de ma vie, je ne risque rien pour ma santé.

L’OMS et la FAO en ont décidé ainsi en 1981, l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a suivi, et son équivalent français a fait de même en 1988. Selon Coca Cola, la teneur en aspartame d’une cannette de Coca Light est de 80 mg pour 33 cl (la teneur maximale pour un soda étant de 600 mg par litre, soit 200 mg pour cette contenance). Un adulte de 60 kilos a droit à une DJA de 40 milligrammes x 60 = 2,4 grammes d’aspartame par jour, ce qui fait 30 cannettes de Coca Light. Je connais peu d’addicts qui atteignent cette dose.

Mais André Cicolella, chercheur en santé environnementale et animateur du RES, retient d’autres chiffres tirés du livre de Devra Davis,« The secret history of the war on cancer » (Basic Books, 2007). Selon lui, « il y a 200 mg d’aspartame dans une canette de Coca Light et on atteint 910 mg d’aspartame par jour avec :

  • deux cannettes soit 400 mg ;
  • deux yaourts allégés contenant chacun 125 mg, soit 250 mg ;
  • un pudding (75 mg) ;
  • quatre cafés soit 160 mg ;
  • dix chewing-gums soit 25 mg. »

Non seulement un gros consommateur d’aspartame atteindrait facilement la moitié de sa dose journalière autorisée, mais de n’est pas tout : la dose journalière admissible est très loin d’être celle qui devrait être appliquée selon les dernières données de la science.

2 Quelle nouveauté dans les études ?

Une enquête danoise menée auprès de 60 000 femmes enceintes conclut à un risque plus élevé d’accouchement prématuré chez les femmes consommant beaucoup de boissons light.

Les études de l’Institut Ramazzini menées sur des rats en 2006 et 2007 concluent :

« L’exposition à de faibles doses d’aspartame débutant au cours de la vie prénatale et continuant pendant de la vie d’adulte augmente les effets du cancer. »

Selon André Cicolella, « si l’on applique ces résultats sur les rats aux humains, avec les facteurs de sécurité couramment appliqués, on obtient une dose journalière admissible qui est 20 000 fois trop élevée. »

Les études en question ont été critiquées par l’agence européenne au nom du fait que les rats ont été exposés à l’aspartame depuis leur vie prénatale et jusqu’à leur mort naturelle vers l’âge de trois ans, et non sur seulement deux ans, comme le veulent les protocoles scientifiques habituels. Le chercheur fait remarquer que :

« Cette critique n’est pas recevable. Arrêter l’observation à deux ans, c’est comme si on observait un humain jusqu’à 55 ans, alors que l’exposition va de la gestation à la mort. »

Les premières questions sur les éventuels effets secondaires de l’aspartame se posent depuis 1996, date d’un premier article faisant le lien entre les tumeurs du cerveau et l’aspartame. Si l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa devenue Anses) s’est penchée à plusieurs reprises sur ces alertes, elle a toujours disqualifié ces nouvelles études.

La lenteur des institutions à réanalyser la littérature scientifique évoque à Marianne de cette semaine « un scandale Mediator dans l’alimentaire ». Un spectre qui va peut-être amener les autorités scientifiques ou les gouvernements à se réveiller. Comme le souligne Cicolella :

« Sur le bisphénol A, l’Efsa continue à dire qu’il n’y a pas de problème, alors que les gouvernements l’ont interdit. Nous disons que l’aspartame n’est pas un produit neutre et demandons que les agences fassent leur travail de garants de la santé publique. »

3 Peut-on remplacer l’aspartame ?

Il y avait une vie avant l’aspartame, il y aura une vie après. D’ailleurs, son remplaçant semble tout trouvé : la stévia. L’édulcorant appelé « rébaudioside A » est lui aussi capable de sucrer 200 fois plus que le sucre ; il a même l’avantage de pouvoir se cuire et rentrer dans la préparation des pâtisseries. Mais il est naturel ! La stévia est une plante qui pousse en Amérique du Sud et dont les pouvoirs sucrants sont très connus et appréciés des Japonais. Chez nous, il a fallu un peu de temps pour que son innocuité soit démontrée et qu’on lui ôte cet arrière-goût de réglisse particulièrement gênant dans le café. Autorisée comme additif alimentaire depuis un an, la stévia mange peu à peu des parts de marché à l’aspartame. The Coca Cola Company est déjà monté dans le train en lançant en 2010 en France Fanta Still « à base d’extraits naturels de stévia », après Glaceau VitaminWater zero et Odwalla en 2009. Jus d’orange, thés, chocolats… de plus en plus de marques s’y mettent et le font savoir. Elles ont intérêt à monnayer la substitution de l’aspartame car la stévia coûte dix fois plus cher.

Une réflexion sur « Aspartam »

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