Jadis les horaires.
Concernant les horaires, il est de rigueur aujourd’hui de parler de « manger à heures fixes » et de ne plus manger en dehors des repas. Mais cela bien plus compliqué qu’il n’y parait. Les personnes souffrant de reflux sont invitées à fractionner leurs repas. On les encourage à manger peu, sur quatre repas plutôt que trop aliments en deux ou trois repas. Il s’agit d’un ordre médical.
Au Moyen-Âge, les gens du peuple consommaient quatre à cinq repas par jour, alors que les adultes de la bourgeoisie n’en prenaient que deux. Sur le plan horaire, cela avait forcément des conséquences qu’on peut découvrir dans « l’histoire de l’alimentation » aux éditions Fayard (§14) : »… les heures des deux principaux repas étaient à peu près les mêmes : le dîner vers le milieu de la journée – à 12 heures ou 13 heures quand on avait déjeuné à 9 heures, ou vers 10 heures lorsqu’on ne déjeunait pas – et le souper à la tombée de la nuit. Avec à peine un peu moins de simultanéité qu’aujourd’hui, la plupart des gens se trouvaient à table, semble-t-il, à des moments déterminés ?
Or, dans tous les pays occidentaux, les repas des élites sociales ont été peu à peu retardés, alors que les horaires populaires restaient stables ».
CRISE MONDIALE. CRISE INDIVIDUELLE
On découvre dans une publication, rapportée par Michèle Ologoudou (§15), que la « déstructuration » des habitudes alimentaires et de repas a commencé à la fin des années 70. Les conditions de vie de la France rurale étaient plutôt restreintes et il n’y avait pas beaucoup de latitudes en matière d’alimentation. Saisons, religions, horaires de travail et calendriers paysans ordonnaient le rythme de la vie sociale et orchestraient les usages alimentaires et les menus. L’être humain au cœur de ce système est devenu individualiste et autonome. La société lui a donné l’impression qu’il avait ses propres choix à faire, il les a faits et trop souvent mal faits. Mal fait, si on considère que des règles précautionneuses – dictées par des cultures, des rites ou des croyances – ont été bannies de son quotidien pour adopter un acte de surconsommation et de désintégration.
Michèle Ologougou écrit : « L’alimentation ne structure plus le temps, c’est le temps qui structure l’alimentation. » Terrible constat opposant le mode de vie de nos grands-parents au nôtre. Ma grand-mère m’a appris à prendre le temps de manger et ce fut difficile pour elle de nous l’enseigner lorsque nous étions enfants, mes cousins et moi. Nous entendons, au tour de nous, chaque midi, le temps imposé par nos emplois du temps et sommes habitués aux « vite, j’ai 20 minutes pour enfiler un sandwich » ou encore « Je n’aurais pas le temps, je prendrais un truc en route ».
Mangeurs, vos comportements ont été observés par le sociologue Jean-Pierre Corbeau et son classement (§16) en 3 profils est ainsi :
1] Les complexés du trop
Ils se méfient des aliments qui sont disponibles sur le marché. Ils craignent le sucre, responsable du diabète, les graisses qui génèrent des maladies cardio-vasculaires et la viande rouge qui peut transmettre l’ESB. Ils veulent manger sain et achètent bio. Ils crient haro sur les OGM qui privent les aliments de leur naturalité. Mais ils entravent leurs règles lorsqu’il s’agit de manger hors du domicile, entre amis ou lorsqu’ils consomment des produits diététiques dont ils ne lisent même pas la composition.
Certains vont jusqu’à refuser de se nourrir par peur de manger, par désir de maigrir ou par refus d’être obèses. Dans cette population, il y a des anorexiques, jeunes filles ou vieillards, qui ont perdu la notion des rythmes alimentaires (les repas – ne sont plus pratiqués et ils deviennent même sujets à des drames familiaux). Ils vivent repliés sur eux-mêmes, sans lien social fort.
À ces comportements extrêmes s’adjoignent de plus en plus de « complexés du trop pour raisons esthétiques ». En effet, selon les canons de la beauté féminine, il faut être filiforme. Lipophobes, ces mangeurs (des mangeuses majoritairement, mais aussi de plus en plus d’hommes) surveillent leur alimentation pour garder la ligne et « ne pas se laisser aller » (vers la cinquantaine chez les hommes).
2] Les tenants du nourrissant consistant
Ils aiment les charcuteries et ne conçoivent pas de véritable repas sans viandes et féculents. Pierre Bourdieu (La Distinction, Minuit, 1979) avait jadis attribué une origine populaire à ces mangeurs. Aujourd’hui, Jean Pierre Corbeau a pu constater que tous ne sont pas des ouvriers. Il y a bien sur des « travailleurs de force » qui le midi ingurgitent des quantités importantes de nourriture qui tiennent au corps, car il faut s’en mettre « plein la panse » pour reconstituer sa force de travail. Mais le soir et le week-end par contre, ils mangent souvent plus léger et expérimentent des mets plus raffinés, symboles d’une ascension sociale. Ce groupe est aussi composé de « mangeurs plutôt privilégiés qui réinvestissent le patrimoine gastronomique de terroir ». Par exemple, des urbains à la recherche de leurs racines redécouvrent des produits régionaux : cassoulets, tripes et andouillettes, chapons et vins de pays… À la différence du premier groupe, c’est plutôt le soir que « l’on apprécie les spécificités gastronomiques françaises plus consistantes » car le midi, on mange léger pour ne pas « piquer du nez » sur son bureau à l’heure de la sieste.
3] Les tenants du nourrissant léger
Adeptes du régime méditerranéen et des principes diététiques, végétariens, les membres de ce groupe se méfient des sauces, « qui ne servent qu’à donner du goût, aiment la diversité et métissent aliments exotiques et recettes du terroir ». Ils appartiennent à la génération des baby-boomers, ils sont urbains et travaillent dans le secteur tertiaire.
Ils vont transgresser leurs principes à des moments de grignotage ou encore le week-end, en se régalant de viennoiseries, de charcuteries campagnardes, de crèmes au beurre… Quant aux mordus d’huile d’olive, de parmesan et autres jambons séchés, ils vont aussi – dévorer des pâtes fraîches « semblables à celles dont raffolent certains adeptes du « nourrissant consistant ! ».
Perte de repères.
L’aliment est devenu un OCNI (§17) ! Un « Objet Comestible Non-Identifié » qui inspire méfiance et peur avec ses apparences trompeuses et dénuées de vie, dénuées de liens avec la nature. Loin des objets comestibles bruts de nos aïeuls, nous adoptons sans sourciller, les lyophilisés, transformés, « floconnés »… de toutes sortes. Notre instinct de survie est en sommeil et hynoptisé par les règlementations sanitaires nous rassurant sur l’hygiène absolue. Coupés de nos racines, nous ingurgitons le fruit d’une alimentation moderne sans identité, car non identifiable. Plus de 85 % des produits que vous pouvez trouver en rayon en 2010 n’existait pas il y a moins de 50 ans. Devant cette peur panique nous poussant à refuser l’agroaliment, les industries sortent une arme d’information massive – pour ne pas dire d’uniformisation massive –… la marque ! Une des plus belles réussite des épiceries biologiques, en terme de retour aux valeurs « patrimoniales », a été la suppression des marques dans les distributeurs de céréales, farines, fruits secs, gâteaux, semoules, sucres et autres produits facilement « ensachables » au gré du client.
Enfin, vous n’achetez plus une marque a trouver parmi 10 ou 20 références, mais… un simple produit qui répond à un critère de choix.
Sources :
14) Article de Jean-Louis Flandrin : « Les temps modernes », extrait du livre « Histoire de l’alimentation » sous la direction de Jean-Louis Flandrin et de Massimo Montanari, page 571, Éditions Fayard.
15) Michèle Ologoudou, rapporteur du « Rôle de l’éducation dans l’alimentation », important rapport publié au Journal Officiel, pages 18,19.
16) Michèle Ologoudou, rapporteur du « Rôle de l’éducation dans l’alimentation », page 21, d’après l’article de Jean-Pierre Corbeau, paru dans « Sciences humaines » n°135 , février 2003.
17) Michèle Ologoudou, rapporteur du « Rôle de l’éducation dans l’alimentation », important rapport publié au Journal Officiel, page 22 à 30.
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