L’alimentation est évoquée sous différentes formes à travers les médias. En alerte, en santé, en conseil, en cuisine. Elle se prête aussi au jeu des modes et tendances et s’invite à toutes les conversations amicales, industrielles et parfois sur un fond de scandale ou de crise sanitaire. On la voit rarement fleurter avec la philosophie et pourtant… on devrait.
Un formateur en changement de comportements alimentaires est imprégné d’une idéologie, d’une utopie ridicule, face aux géants de l’agroalimentaire, qu’il est difficile de partager entre écologie et alimentation. Le respect des autres, des animaux et de la nature est un fait induit par la passion d’une parfaite harmonie, qui serait nécessaire à la survie. Pour peu que l’on apprenne à quelqu’un à changer son comportement pour mieux se nourrir, on comprend que l’Homme se perd vers des chemins tortueux et dangereux pour lui et son habitat. Ce n’est pas récent, et les propos de certains philosophes en témoignent et m’incitent à développer afin de démontrer l’urgente nécessité de comprendre le système fragile de notre quotidien.
Fragile systémie ?
Les sociétés tribales, que l’on aime appeler « primitive » – pour se rassurer sans doute – étaient pour la plupart des cueilleurs, chasseurs et agriculteurs. Leur mode de vie était simple. Ils ne tuaient pas plus d’animaux qu’ils ne pouvaient en consommer.
Ils ne travaillaient pas plus de terre qu’ils leur étaient nécessaires.
Ils se battaient, mais ne faisaient pas la guerre.
Ils n’exterminaient personne.
Peut-on encore signifier un quelconque signe « primitif » en parlant d’individu tant évolué sur le plan social – ils n’avaient pas besoin de réseau pour se faire croire à une quelconque amitié ?
Ils avaient une place dans le monde dont ils faisaient partie et qu’ils partageaient.
Opprobre de toutes les espèces animales, l’homme a changé tout cela.
D’aucuns diront que l’on ne peut pas retourner dans le passé ou démolir nos villes pour revenir dans la jungle. Il n’y a aucun doute et il s’agirait là d’un raisonnement spécieux et stupide. Pourtant, avant toute chose, afin de se retrouver en parfaite osmose avec notre environnement, il y a une chose à laquelle nous devrions renoncer : notre domination – pour ne pas dire extermination.
Il est dur d’admettre que nous ne sommes pas des dieux ou des rois et que ce monde n’est pas à nous. Mais en serions-nous capables ? Moins sûr quand on comprend que cette soif de pouvoir est trop précieuse. Que cette puissance est jouissive. Trop grande la tentation d’être Dieu.
Philosophons donc.
« Le désir est l’essence même de l’homme. »
Baruch Spinoza (1632-1677), Éthique.
Le désir étant « l’identité même » de l’homme, Spinoza replace celui-ci dans le cadre de la Nature. L’instinct de l’animal est traduit en désir. Force de vie et défaut d’exigence à la fois. Le marketing utilise ce mécanisme pour amplifier les pulsions d’achat et amener à la surconsommation.
Notre désir est notre plus grande faiblesse.
« Changer mes désirs plutôt que l’ordre du monde. »
René Descartes(1596-1650), Discours de la méthode.
Grandir en pensant que papa et maman pourront satisfaire nos moindres caprices est une l’illusion. Descartes préconise de modérer ses vœux plutôt que déformer la réalité à l’inverse des parents « valets » au service d’enfants « rois ». Triste sort pour ces enfants pourris, futurs névrosés malheureux de leurs propres pulsions. Cette phrase de Descartes pourrait bien être LA phrase qui agace les agences de communication prêtent à vous vendre le fantasme d’une société où tous les désirs seraient assouvis… à crédit.
« Malheur à qui n’a plus rien à désirer !
Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. »
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Julie ou la Nouvelle Héloïse.
Désirer entretient le mystère et espérer donne du plaisir. Sans tout cela, un système éducatif génère des malheureux. Cela ne vous rappelle rien ? L’enfance perdue ! On commence à entendre l’ire de parents agacés, malmenés par les attitudes de leurs progénitures, mais n’est-il pas trop tard ? N’était-il pas nécessaire de dire « non » plus souvent, au bon moment ? Une intervenante du SAMU du var déplorait que la plupart des suicides d’enfants eussent pour raison initiale, l’état d’un enfant déstabilisé par des parents inexistants, qui ne savent pas dire non ou mettre des limites. Ces enfants, livrés à eux-mêmes, saturent, perdent leurs repères, ont des crises de nerfs et veulent en finir avec la vie.
« L’enfer, c’est les Autres. »
Jean-Paul Sartre (1905-1980), Huis clos.
Toujours accuser autrui de ce que nous vivons. Cent ans de croissance poussée encouragent forcément à une surpopulation qui certes ne nous veut pas de mal, mais nous renvoie le reflet de ce que nous sommes. Et plus nous sommes et moins nous nous supportons. On peut dire alors que « [l’homme]… devient alors… [un loup pour l’homme] ». Thomas Hobbes (1588-1879) reprenant Plaute.
« Le bon sens est la seule chose du monde la mieux partagée. »
René Descartes (1596-1650), Discours de la méthode.
D’après vous, qu’enseigne un formateur en changement de comportements alimentaires ? Le bon sens. Perdu certes pour certain, mais du bon sens tout simplement. Le droit de penser par soi-même ne permet pas de légitimer toutes les opinions ou trouver la vérité, mais guider notre raison vers un modèle intuitif. C’est pour cela que je pense que le meilleur moyen de lutter contre la malbouffe reste l’information, car sans un savoir on ne peut pas aider à la culture du bon sens.
« La nature ne fait rien en vain. »
Aristote (380-322 av.J-C.), Génération des animaux.
La démonstration d’Aristote est considérée comme typique de la pensée préscientifique. Avec naïveté pour certains, Aristote s’efforce d’expliquer l’ordre naturel des choses. Un vrai système que notre climat déréglé semble valider. Monoculture intensive contre danger de la biodiversité ; surexploitation forestière ou fossile contre pluies acides illustrent à la perfection ce brusque déchainement des éléments.
« Ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas haïr, mais comprendre. »
Baruch Spinoza (1632-1677), Traité politique.
Le mécanisme de l’envie est le symptôme du mépris que l’on peut déjouer… mais faut-il le vouloir ? J’aime insister sur le fait que l’on vote deux fois par jour avec sa fourchette et son couteau. C’est une image qui signifie qu’a chaque repas, ce que l’on met dans l’assiette est politique et engagé. Soit on encourage les dérives des industriels assoiffés de marges et l’on ne peut que pleurer et se taire, soit on agit pour changer et faire changer.
« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »
Claude Lévi-Strauss (1908-2009). Race et Histoire.
Mon intro parlant des primitifs illustre cette parabole. Chaque groupe imagine que sa propre référence devient l’absolue vérité pour un jugement de valeur.
Vieille comme le monde, cette attitude symbolise la différence. On parle d’ethnocentrisme.
« La religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité. »
Sigmund Freud (1856-1939). L’Avenir d’une illusion.
Il faut ici entendre par « religion » le mot « appartenance ». La psychanalyse constate que pour éviter de se sentir coupable de ses propres pulsions, ressenties comme menaçantes, on multiplie les rituels. Des troubles obsessionnels du comportement se manifestent par des besoins de rangement des objets de façon symétrique ou bien encore une peur des microbes par une nécessité de tout nettoyer. Dans les cultures polythéistes (croyances en plusieurs Dieux, comme les Romains ou les Grecs), le croyant tente de se protéger des cataclysmes, des malheurs et des sécheresses. Inversement, l’adoption d’une religion le dispense de se constituer une névrose personnelle. Cette manifestation explique à elle seule l’universalité de la religion. Il est d’ailleurs commun d’entendre dire par des « non-croyants » qu’ils croient tout de même à une « force » régissant leur vie.
J’aime ce système de protection qui nous rappelle une sorte de superstition et pourtant paradoxalement, les sociétés occidentales se revendiquent croyantes et pratiquantes d’un culte tout en s’éloignant du fondement même d’une religion : le respect de la Nature ! Pierre Rabhi se dit d’ailleurs déçu par les religions silencieuses devant tant d’incivilité, d’extermination de biodiversité et de pollution dans le monde.
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger qu’il faut espérer notre dîner, mais du souci de leur propre intérêt. »
Adam Smith (1723-1790). Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations.
Cette formule n’a rien d’étrange, car nous ne sommes pas naïfs et savons que chacun travaille pour son intérêt. L’originalité de cette doctrine est peut-être bien dans l’étrange actualité agroalimentaire de notre époque.
Nos pains sont, pour la plupart, produits par des boulangers qui agitent quelques baguettes « préformatées » devant les clients pour les rassurer et obtenir l’enseigne de « Boulanger ». Le reste de l’étalage, que cela soit des pains spéciaux ou des pâtisseries, est sorti du congélateur.
Nos viandes sont sous vide, sans os, cellophanées, issues de filières que l’on croit proches et qui s’avèrent lointaines. Des produits proposés, trop souvent, par des « usines à bestiaux » ne lésinant pas sur les hormones, les antistress, les mutilations et les cadences folles jusqu’aux abattages barbares. Ces mêmes usines cachées derrière des marques aux jolis spots publicitaires faisant de l’ombre aux vrais éleveurs.
Nos aliments, en général, déstructurés, recomposés, dénaturés et servis comme de vulgaires innovations culinaires. Notre agriculture est tellement caricaturale, que ses protagonistes ne s’aventurent même plus à consommer le fruit de leur propre travail tant ils redoutent la dangerosité des pesticides, qu’ils considèrent [à juste titre, mais ce n’est que mon avis] impropre à leur consommation.
« Il n’y a point de liberté sans lois. »
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Lettres écrites de la montagne.
À la recherche d’un désir, nous refusons tout obstacle, certes, mais si chacun peut faire ce qui lui plait, il étouffe l’autre et lui fait perdre la sienne. Protéger un consommateur est nécessaire et il est manifeste que toutes les législations, lois et obligations alimentaires sont trop floues. Elles semblent échapper à un devoir de protection.
La délinquance de la rue est la même que celle d’un industriel gourmand. Elle confond les droits et les devoirs. Faudrait-il alors réintégrer la morale à l’école, l’éducation dans les foyers et des textes de références stricts pour les aliments ? Ces contraintes déplaisent par l’expression liberticide qu’elles procurent si l’on ignore la motivation égoïste.
Pourtant la liberté incarne par excellence la nécessité de faire du bien.
À méditer donc.
Inspirations :
Walden, David Henry Thoreau.
VisioFood, Stéfane Guilbaud.
Non aux oranges carrées, Stéfane Guilbaud.
Instinct, Jon Turteltaub.
Citations philosophiques expliquées, Florence Perrin, Alexis Rosenbaum
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