25 novembre 2024

Manger à l’hôpital, c’est pour aller mieux ?

Dans le « Journal Des Bonnes Nouvelles« , chaque mois, je répond à une question posée par les lecteurs, voici celle de Juillet 2021.
[Sommaire des articles parus].

Question :
Quand on est à l’hôpital c’est généralement pour aller mieux, mais je suis pas sûre que les repas y participent ? Qu’en pensez-vous ?
Brooke, 12 ans.

Brooke, en effet c’est un sujet complexe. Ta question est légitime et du haut de tes 12 ans, tu fais un constat juste et désolant, sans réelles solutions immédiates. La réponse va donc se concentrer sur les raisons, les leviers et les espoirs que suscite ta question.

CONSTAT PARTAGÉ

Quand on se rend à l’hôpital, on s’attend à retrouver un ensemble d’éléments favorisant une guérison et un prompt rétablissement. Les médecins font tout leur possible, les règles d’hygiène et les nouvelles technologies y participent, mais paradoxalement la nutrition est écartée de l’équation « qualité ». C’est un débat récurrent qui dure depuis des dizaines d’années dans de nombreux lieux publics comme les cantines scolaires, les EHPAD, les colonies de vacances… Bon gré malgré, sans en accepter le constat, on subit la dégradation alimentaire — il faut l’avouer — sans trop de succès, pourtant si l’alimentation dans les lieux publics est importante, symboliquement, l’hôpital favorise un désarroi supplémentaire.

Ce ressenti d’abandon nutritionnel, Katharine Jenner — à l’origine de la Campaign For Better Hospital Food (Campagne pour une meilleure alimentation dans les hôpitaux, en français, ndlr) — l’a mesuré avec une étude menée auprès d’hôpitaux anglais. Constat sans appel : « les plateaux-repas servis aux patients n’étaient pas particulièrement bons pour eux ». Après avoir analysé les apports nutritionnels des repas de 25 patients, elle a découvert que 15 d’entre eux contenaient plus de sel qu’un Big Mac®. Dans le British Medical Journal on peut y lire que « deux tiers du personnel hospitalier anglais a déclaré qu’ils ne seraient pas ravis de manger la nourriture qu’ils servent aux patients ».

L’hôpital n’est pas réputé pour sa gastronomie, ce n’est pas le lieu, et ce n’est pas ce qu’on lui demande, certes, mais selon plusieurs enquêtes de la Haute Autorité de santé, 6 patients sur 10, en majorité des personnes âgées, ressortent de l’hôpital dénutris  ! On est donc bien sur un niveau de dangerosité mesurable.

Depuis 2018, Frédéric Descrozaille, député LREM du Val-de-Marne veut changer les choses. Le projet « Repas à l’hôpital », soutenu par le ministère de la Santé a pour ambition de « remettre le patient au centre » des décisions liées aux menus servis à l’hôpital, pour plus de plaisir dans l’assiette.

NUTRITION MAL ORDONNÉE

La nutrition est sous-estimée, et ce, malgré le fait qu’il s’agisse d’un apport essentiel au corps et à l’esprit. L’Être humain aime manger, de surcroît encore mieux lorsqu’il se sent mal. L’approche cathartique de l’alimentation est totalement écartée du système. Les responsables financiers ne perçoivent pas le « temps du repas » comme un temps de guérison, mais comme une nécessité incontournable, à réduire à sa plus simple expression. Ainsi, les coupes budgétaires sont les premières responsables de la qualité des plateaux-repas.

Il faut comprendre — mais certainement ne pas admettre — que la haute technologie et la médecine de pointe coûtent cher… très cher. Un patient reste souvent perçu comme un patient par son médecin, mais se voit relégué au rang de client par le service compta. Votre hospitalisation a un coût. Votre vie sera contrôlée, analysée, protégée, soignée pour répondre à une charte qualité à entretenir, mais votre confort alimentaire, votre expérience émotionnelle et vos besoins nutritionnels sont accessoires.

Soyons conscients que nous recherchons un établissement pour sa qualité de soin et non sa cuisine  ! C’est une question de priorité évidente, certes… mais qui ne devrait pas en rester là.

Le sujet de la restauration en milieu hospitalier ayant été traité plusieurs fois, des améliorations ont déjà été proposées. Il y a quelques années, des expérimentations ont été menées dans un groupement de l’AP-HP disposant de plus de 1000 lits, et dans deux hôpitaux en région, l’un avec moins de 1000 lits et l’autre avec moins de 700 lits.

La première motivation de cette enquête était un objectif simple : réduire drastiquement les 40 % d’aliments qui partent à la poubelle  chaque jour !

Réduire le gâchis et augmenter la valeur nutritionnelle des repas est un défi bien connu en « désobéissance alimentaire ». Il faut privilégier la qualité au mépris de la quantité  ! Cela paraît simple sur le papier, relativement facile à adopter avec des familles, mais complexes à faire appliquer sur des sites publics.

Frédéric Descrozaille donne un exemple simple et significatif : « Au lieu d’une pomme de 130 g qui finit à la poubelle, on ne proposera peut-être que 80 g de pommes, mais de meilleure qualité et mieux présentés. »

Il faut aussi préciser qu’avec la centralisation des cuisines à distance et le manque de personnel, les innombrables quantités de plateaux à distribuer en même temps sont servis froid et participent à l’aspect peu ragoûtant du repas. Il n’est pas rare que des proches ou la famille « nourrissent » les alités en portant des aliments venant de l’extérieur. Un comble et un gaspillage totalement aberrant qu’il faudrait enfin arriver à juguler pour le bien de tous.

LA RECETTE FONCTIONNE-T-ELLE ?

Toutes les démarches sont louables, mais se heurtent à deux problèmes majeurs.

a) Nous sommes face à un changement de comportement en cuisine certes… mais dans les chambres aussi  ! Le projet exige une totale rééducation de la part des patients. Immédiatement une question fondamentale se pose. Sera-t-il prêt à recevoir des assiettes différentes  ? Moins remplies, plus subtiles  ?

b) Ce changement demande une politisation » du problème. Dans le cadre de l’étude précédemment décrite, pour avancer à l’échelle nationale, le projet a du s’inscrire dans la continuité des États généraux de l’alimentation voulus par Emmanuel Macron et aurait même pu passer avec la convention citoyenne… sauf que…

toutes les initiatives passées au « sans filtre » présidentiel furent retoquées a coup de baguettes magiques improbables et puissantes. Pour rappel, le 25 avril 2019 le Chef de l’état affirmait un « je m’y engage sera soumis sans filtre ». Le 29 juin 2020, ses convictions étaient relativisées par des jokers soufflés au creux de son oreille (5G, CETA, taxe véhicule, néo, glyphosate…).

Alors imaginez ce qu’a pu et à du peser l’assiette d’un patient hospitalisé  !

Comme le rappelle le quotidiendumedecin.fr, « La santé des patients a-t-elle moins de valeur que l’équilibre des comptes de nos établissements hospitaliers  ? Visiblement oui  ! Or en agissant de la sorte, nous risquons d’aggraver la morbidité des patients, qui au retour à domicile, n’auront que partiellement réglé leurs problèmes et devront être réhospitalisés. »

Alors Brooke, tu vois, ton plateau-repas a un coût… mais personne ne souhaite le financer. Il ne rapporte rien. Pas d’étoiles qualité pour l’hôpital, pas de voix dans les urnes… rien ! Sauf qu’il pourrait y avoir un levier. Chaque année, le magazine américain Newsweek ou encore le journal LePoint… publient le classement des meilleurs hôpitaux de l’Hexagone. La classification est souvent basée sur 3 éléments : les recommandations d’experts médicaux (docteurs, directeurs d’hôpitaux et professionnels de santé), les résultats des enquêtes menées auprès des patients et les principaux indicateurs de performance médicale. On peut donc rêver qu’un quatrième critère entre en jeu : la nutrition et dénutrition des patients hospitalisés !

Laisser un commentaire