Voici la reprise d’une interview paru sur femininbio.fr, le 15 avril 2016
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INTERVIEW : STOP AUX PRODUITS INDUSTRIELS ! RENCONTRE AVEC STÉFANE GUILBAUD
Auteur du livre Je ne mange pas de produits industriels, Stéfane Guilbaud revient pour FemininBio sur nos modes d’alimentation et les conséquences de 30 ans de marketing réussis de la part de l’industrie agro-alimentaire. Une interview décapante qui invite à changer nos habitudes !
Qu’est-ce qu’un aliment transformé ?
Il s’agit d’un aliment ayant subi des modifications techniques. À l’opposé d’un aliment brut, un produit transformé est « déstructuré » via des procédés chimiques ou mécaniques afin d’en extraire des ingrédients de base, utilisés par l’agroalimentaire. On ne parle plus de céréales, mais de grain, d’amidon, de son (l’enveloppe), de gluten. On ne parle plus de végétaux, mais de fructose, de glucose, de dextrose, de fibre, de pulpe…
Ainsi, dans des usines qui ont parfois un air de Tricatel dans le film L’aile ou la cuisse de Claude Zidi, les différentes matières premières sont assemblées, mélangées, extrudées, soufflées, cuites, vaporisées… afin de reconstituer un produit alimentaire.
Les aliments transformés usent de subterfuges pour paraitre plus appétissants. On modifie leurs textures pour les rendre plus moelleux ou plus croustillants. On paramètre leurs gouts, leurs odeurs en incorporant des palettes d’arômes et exhausteurs… Ce n’est pas de la science-fiction. C’est une réalité que l’on retrouve au quotidien dans les rayons d’une grande surface.
Vous êtes assez remonté contre l’industrie agro-alimentaire…
L’idée est de produire toujours plus, toujours moins cher, mais pas forcément bon marché. Si je devais donner un seul exemple, cela serait celui des Corn Flakes. Si la matière première, le maïs, est à 140 euros la tonne, après quelques manipulations d’extrusion, de recuisson, d’aplatissage et de sucrage, cette bombe glycémique se vend en rayon à presque 7000 euros la tonne. Observez le coût au kilo de toutes les barres chocolatées, les jambons reconstitués, les plats cuisinés… Ces succédanés sont finalement d’un très mauvais rapport qualité-prix.
De manière générale, la piètre qualité des matières premières est maquillée par l’ajout de sucre, de gras ou de sel. Les aliments finissent, en rayon, affublés d’un superbe emballage qui « magnifiera » le tout.
Un aliment brut, comme une châtaigne, une pomme, un morceau de viande, une olive… ne rapporte rien à l’agrobusiness. Les marques alimentaires savent depuis longtemps que vendre en l’état des produits de la nature ne permet pas de protéger une recette et d’engendrer du profit. Ils doivent alors trouver des « innovations » pour proposer un aliment transformé — devenant propriété de la marque. Si l’aliment transformé devient un succès, l’entreprise se présente alors comme un gardien de la recette. Garante de sa forme et de son goût standardisé, elle s’évertue à le reproduire avec la même saveur, en été comme en hiver.
80 % de notre alimentation est à base d’aliments transformés. Qu’est-ce que cela dit de notre rapport à l’alimentation ?
Cela en dit long sur le rapport que le marketing entretient avec ses clients… de fidèles consommateurs.
Depuis 40 ans, nous ne mangeons plus par nécessité, mais par plaisir. Ce n’est pas naturel, cet état a été créé par des décennies de communication qui martèlent que nous avons droit au plaisir. Nous confondons plaisir et bonheur. Le premier est fugace, bref, stimulé par la dopamine, le second se cultive pour un effet durable.
Et justement, le sacro-saint plaisir invoqué par les publicités, toujours plus insistantes, nous fait croire que manger apporte une solution aux problèmes, une réponse à nos maux et conforte un statut social — certains parents ne peuvent pas imaginer que leurs enfants ne puissent pas avoir accès à un fast food. Comme un droit, ils font tout pour offrir ce plaisir à leurs enfants !!
Notre société de surconsommation a accepté les produits les plus farfelus et a participé à la pérennité d’enseignes alimentaires « délétères ». Nous avons confié nos états d’âme à des multinationales friandes de nos confessions intimes. Elles ont appris à nous connaître. Elles ont traqué nos faiblesses pour vendre toujours plus et se sont cachés derrière le fait qu’il s’agit d’une attente des consommateurs. Notre système alimentaire s’est reposé sur un principe de liberté qui a finalement beaucoup plus profité aux lobbies agroalimentaires qu’aux consommateurs.
Quelle est votre définition de la « malbouffe » ?
Stella et Joël de Rosnay, auteurs de la « malbouffe » parus en 1981, à qui l’on attribue la première utilisation de ce terme, pensaient qu’il faut bien se nourrir pour mieux vivre. Ils avaient raison, mais ne se doutaient pas de l’ampleur que le phénomène allait prendre.
La malbouffe, affublée d’une image de hamburger-frite-soda était la première étape de la transformation de notre société. Aujourd’hui l’icône ne suffit plus, car la malbouffe a pris un tout autre visage. Elle commence dès que l’on confie l’éducation de nos enfants aux chants des sirènes de l’agroalimentaire. Un enfant qui grandit dans l’idée qu’un légume brut n’est pas bon, qu’un poisson doit être pané, qu’un plat cuisiné est aussi bénéfique qu’un plat maison ou bien que le gout passe forcément par le sucre, a tous les risques d’être un « malbouffeur ». Son plaisir sera intense, sans intérêt et confié à l’industrie alimentaire. Son bonheur sera moindre, fragile, conditionné et confié à l’industrie pharmaceutique.
Se passer à 100 % de l’alimentation industrielle, c’est possible ?
L’aliment industriel est partout, souvent à cause de nous qui l’avons accepté ou plébiscité depuis trop d’années. Pour mener à bien un combat, il faut le commencer ! Et pour le commencer, il faut accepter que les consommateurs « militants » y adhèrent par palier. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Je comprends le parcours de chacun et encourage chaque initiative qui abonde dans le sens du consommateur. Chaque chose en son temps. Certes, des matières premières comme le sucre blanc, le beurre ou la farine blanche sont utilisées chaque jour pour réaliser des produits faits « maison ». Pour faire la part des choses, aucun aliment industriel ne rentre à la maison. Ma farine de petit épeautre est produite par un petit paysan. Mon beurre est un biologique de baratte, mon sucre un biologique non raffiné… À l’extérieur, je milite pour faire adopter un maximum de matières premières non raffinées, brutes, locales et biologiques à mes amis et les lieux où je mange. Je cautionne les restaurants qui cuisinent « maison », tout en conservant une petite part de produits basiques comme le sucre blanc ou le beurre industriel et je lutte contre ceux qui ne savent user que de ciseaux pour ouvrir des sachets plastiques industriels.
C’est pas facile, mais en quinze ans, les choses ont bougé grâce notamment à une nouvelle génération qui ont actuellement 20-25 ans et qui en ont ras le bol de « bouffer ». C’est très récent. Le déclencheur est souvent leur premier enfant. Il me confie ne pas vouloir infliger à leurs enfants ce qu’ils ont mangé.
Des produits industriels bio, c’est une hérésie ?
Il est vrai que face au succès du bio, des multinationales investissent ce monde depuis quelques années. Pour ne pas être dupé, j’applique aux aliments bios la même règle qui me permet de déclarer si oui ou non un aliment est un produit industriel. Si un produit biologique — qui devrait avoir une éthique encore plus ferme — utilise des ingrédients complexes ou inconnus de mon placard, si il a les moyens de se payer un spot TV couteux, s’il est suremballé à l’aide de packaging digne d’une agence de communication, s’il se retrouve calibré et propre sur lui dans une cagette numérotée, s’il est complètement recomposé/transformé ou bien s’il s’affiche a un prix trop dérisoire… je doute alors de sa valeur artisanale, nutritionnelle, éthique et/ou durable.
Le bio est une affaire qui doit rester locale et artisanale autant que possible. Il n’est pas rare de rencontrer de formidables producteurs qui refusent le passage à la certification, pour produire calmement, sans pression, sans dépense inutile et surtout sans l’afflux de clients « bobos du bio ». Ils vont souvent plus loin que le cahier des charges initial par respect de l’aliment, à la recherche d’un produit digne — qui sert à nourrir leurs propres enfants.
L’hérésie se situe à la commission européenne qui, sous la pression des lobbies, tente appauvrir le cahier des charges de l’alimentation biologique.
Cette même hérésie se situe au niveau de multinationales qui tentent d’imposer une agriculture biologique basée sur l’achat exclusif et nomenclaturé de graines « stériles », propriétaires et génétiquement modifiées.
Que transmettre à ses enfants en matière d’alimentation ?
Le primordial, l’essentiel : la cuisine. Demandez à un ministre d’instaurer des cours de cuisine obligatoires — et dénués d’intérêts commerciaux bien entendu — pour apprendre aux enfants à connaître le vivant, les saisons et la réalité du gout ! Vous allez essuyer un échec. La pression des intérêts de l’agroalimentaire sera trop forte et pèsera sur la décision finale.
Je ne le dirais jamais assez. Le meilleur moyen de lutter contre la malbouffe reste l’information. Le meilleur outil est la cuisine. Elle apporte la coordination cognitive, le respect, la vigilance, la mémoire, l’entraide, la connaissance, les règles d’hygiène… et reste une formidable façon de s’affranchir des industriels.
Profitons de ce carré de liberté. Votre cuisine vous appartient et ne souffre d’aucune subvention ou chantage à l’utilisation de produits industriels.
En somme, la meilleure arme contre la malbouffe reste l’apprentissage de la cuisine.
Il faut revoir les fondements de tout aliment. Une farine nutritive c’est quoi ? Une céréale est-elle si importante dans notre alimentation ? Réaliser un plat savoureux est-ce compliqué ?
Comment renoncer aux produits industriels sans mettre à mal toute l’organisation de la vie familiale ?
(Rires) Au contraire. Une des raisons de renoncer aux produits industriels est de réorganiser sa vie familiale. Faites le test. Un passage en boutique bio, une fois par semaine, pour des produits manufacturés, comme une purée de pomme-poire ou une tablette de chocolat noir. Et le reste du temps, un aménagement différent pour faire un circuit « en famille » incluant le marché, la ferme et /ou l’artisan. À la maison, la cuisine prend un peu la place des tablettes de jeux et devient, au même titre que les mathématiques, une matière obligatoire. On cuisine pour le soir, pour la gamelle du lendemain. On cuisine aussi le dimanche soir pour s’avancer la semaine. De Paris ou province, c’est du vécu réalisable qui repousse l’idée que les courses et la cuisine sont des corvées chronophages et complexes. Pratiquer une cuisine d’assemblage prend dix minutes.
La vie familiale est d’expérience, plus sereine, plus calme, plus en phase avec la réalité. Les repas finissent par être rituels, plus respectueux du travail de chacun. On se parle beaucoup plus, on échange, on respire.
Vous insistez sur la place des marques et de la publicité. Quels sont les liens entre ces deux éléments et notre façon de consommer ?
Les consommateurs ne consomment plus une pomme, mais une « Pink Lady », non pas une pâte à tartiner, mais du « Nutella » ou non pas un jus, mais un « Minute Maid ». Ce langage est apparu fortement au début des années 80. Dans le livre Je ne mange pas de produits industriels, j’écrivais justement que l’alimentation « devenait “marketée”. C’est-à-dire que les marques, déjà présentes depuis longtemps pour certaines, s’imposent dorénavant par la pub télé dans tous les foyers. De nouveaux produits se substituent à des habitudes alimentaires. Mon morceau de chocolat devient une pâte à tartiner “Nutella®”, un “Galak®” ou un “Merveilles du Monde”, mon goûter fait de pain et de confiture se mue en pain d’épice “Prosper®”, en biscuits “Pépito®”, “Z’animo®” ou en céréales “Frosti®”, et les barquettes de glace s’éclipsent devant la glace en bâtonnet “Disco” de Motta, le “Pouss-Pouss®” ou la fusée “Miko®”. À la cantine, débarquent aussi en fanfare la “Belle des champs”, la “Vache qui rit” la “Végétaline®”, le pot “Miko®” vanille-fraise-pistache ou chocolat, les mini-berlingots “Nestlé®”. Dans la cour d’école s’échangent les “Kinder®”, les “Pschitt®”, les “Raider®”, “Bonitos®”, “Picorettes®” et “Malabar®” pour ne citer qu’eux.»
Les marques ont poussé l’art de la séduction à son paroxysme et face à une demande nationale ou internationale croissante, l’alimentation est devenue “massivement” industrielle. Chaque marque désire séduire le plus grand nombre de consommateurs. N’oublions jamais que le leitmotiv de l’industrie agroalimentaire n’est pas l’alimentation, mais le profit.
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