22 novembre 2024

Un produit de qualité n’a pas de marque

liberationINTERVIEW Spécial WeekEnd. 15 novembre 2013.
Stéfane Guilbaud, consultant, retrace le chemin des aliments et leur perception par les acteurs de la filière :

Consultant et conférencier pour le changement de comportements alimentaires, Stéfane Guilbaud est l’auteur de VisioFood, l’alimentation comme vous ne l’avez jamais vue (1)

Quelle est aujourd’hui la relation entre le mangeur et les produits ?

Il faut savoir que le sens du mot produit a perdu toute sa substance. En quatorze ans de formation, je n’ai jamais eu la même définition, et la plus récurrente n’est pas la plus flatteuse.  En effet, il semblerait que la tendance soit au produit « fun ». Tout est « fun » pour n’importe quelle raison, parce que le produit est pratique, parce que les médias en disent du bien sans se soucier de quelle source il s’agit ou bien encore parce que les enfants aiment.  Le produit est relégué au rang de marchandise. Rares sont les particuliers, y compris chez les plus militants, capables de vous décrire cinq ou six noms de producteurs locaux chez lesquels ils vont. Le consommateur n’a pas encore toute la maturité pour s’organiser un circuit local déstructuré par rapport a un achat chariot panier classique. Tout doit se trouver au même endroit, pour aller plus vite, et tant pis pour la localisation, la qualité de réalisation – bio inclus –, voire les ingrédients. Une seule chose semble compter, sa date de péremption.

Quel est le regard du petit producteur ?

D’abord, petit producteur n’est pas un terme péjoratif. Cela signale un genre de production ou l’on travaille pour soi-même et sa famille et non pour des actionnaires. Chez ces petits producteurs, la notion de produit raisonne comme un synonyme de souffrance. Quand vous produisez avec conviction une denrée de qualité et que de surcroît elle est périssable, vous n’avez pas d’autre choix que de vous tourner vers l’acheteur, quel qu’il soit. La notion de produit, élaboré toute l’année, perd en saveur quand l’amour du travail se transforme en perte, c’est à dire quand le producteur ne trouve pas assez d’acheteurs. Certes les réseaux de particuliers à particuliers grandissent, mais ils ne suffisent pas encore à écouler toute une récolte. À ce propos, les Amap [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, ndlr] ont grandement travaillé leur pédagogie du consommateur. Mon optimisme a été reboosté par ce genre de réseau, mais il reste le problème des stocks et certains produits, trop délicats peut être, ont fait basculer des producteurs vers l’intensif ou, plus rarement, vers la fraude.

Comment les géants de l’agroalimentaire voient-ils les produits ?

On change de stratosphère. La notion de produit prend la valeur de monnaie d’échange. Tant de tonnes pour tant d’euros coûte que coûte. Une loi d’airain s’impose et tout doit être écoulé. Le produit en ces termes est une étiquette, une communication, une offre alléchante. Sa production demande des quantités colossales. Un chocolat industriel ne peut pas se permettre d’utiliser la fève « Criolo », il devra utiliser une fève « Forestero », plus amère, qui nécessitera plus de sucres. Une farine sera raffinée pour abaisser les coûts puis améliorée, par additif, pour donner du goût ou de la tenue. Les chaînes de distribution seront difficilement identifiables. Je pense aux viandes de cheval de Roumanie. Sachez qu’il y a encore deux ans, personne ne croyait possible de tels actes, et j’entendais dire que c’était de l’exagération d’imaginer qu’un produit puisse échapper a un contrôle tant les filières veillent au grain. Mon grand-père m’a toujours dit que, lorsqu’il voit une publicité télé qui vante un produit artisanal, ce sont des foutaises, car au prix du passage télé aucun artisan ne peut se payer ce genre de com. Un industriel n’est pas à blâmer. II ne fait que répondre a la demande du consommateur, au comportement schizophrénique, qui souhaite un produit pas cher, artisanal, à base de produits de qualité avec une petite pincée de praticité, comme un zip de fermeture.

Pour moi, un produit de qualité commence par le fait qu’il n’a pas de marque, ma farine vient du moulin Lambda. Point final. Les Africains disent de nos nous que nous consommons, non pas des aliments, mais des produits.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Le devenir du produit prend aujourd’hui deux chemins différents. La grande voie, celle des marques, toujours plus présentes, qui stimulent et innovent pour se faire une place et vous faire toujours plus consommer. L’hyper se cherche tout autant et revoit actuellement sa déco pour vous plonger au coeur d’une pseudo halle aux producteurs, histoire de flirter avec l’authentique. Mais il y a aussi la petite voie, grandissante chaque jour. Celle des producteurs qui se regroupent en Amap, marchés paysans afin dégager la confiance des circuits courts. Dorénavant, ils ont revu leurs prix, qui ne consistent plus à se calquer sur la grande distrib. Ils proposent une réelle alternative en expliquant par la pédagogie de l’économie que leurs prix sont plus bas, car sans intermédiaires. Ils ont tout à gagner, le produit aussi.

Recueilli par mail par J D. Source : Libération
(1) Editions Thierry Souccar 94 pp 17,90€

 

Une réflexion sur « Un produit de qualité n’a pas de marque »

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